Interview Von Sivers

Publié le par lerepondeur

À l’occasion de ce numéro consacré au statut d’artiste, Le Répondeur, journal culturel citoyen a rencontré Monsieur Alexandre von Sivers (1943°). Comédien pour le théâtre, la télévision et le cinéma, Docteur en droit, il s’est fait connaître en participant activement  à la réflexion collective sur le statut de l’artiste en Belgique, en tant que membre de la centrale syndicale CGSP-Culture (FGTB).

Le répondeur- Quel est votre parcours professionnel dans le secteur des arts du spectacle ?

AvS- C’est un parcours tout à fait classique. Au collège, j’ai suivi des cours de diction et puis j’ai  joué dans des pièces. Vers 1958, Pierre Laroche a mis en scène « Le Misanthrope » de Molière et je jouais le rôle de Dubois (le domestique qui oublie le billet qu’il vient apporter).  Et quand j’ai terminé mes études de droit et mon service militaire, je suis rentré au Conservatoire à Bruxelles. J’ai été amené rapidement à jouer car mon professeur était Claude Etienne, directeur du Rideau de Bruxelles. J’y ai beaucoup joué au début et très vite aussi pour les jeunes compagnies de Philippe van Kessel, Philippe Sireuil, Patrick Roegiers, Marc Liebens.

Le répondeur- Quand et comment en êtes-vous arrivé à vous poser la question du statut d’artiste et à participer activement à sa réflexion ?

AvS- Dès le début, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire monter mes cachets tout seul. Il y a deux options. Soit on devient une grande vedette internationale dans l’espoir de le rester jusqu’à l’âge de la pension et même au-delà. Soit on rentre dans le lot commun des comédiens et on comprend que la sécurité sociale conditionne la survie même des individus et des métiers artistiques (notamment par le biais des allocations de chômage) :  la défense des mécanismes de solidarité, par le biais notamment de l’organisation syndicale, est une chose primordiale. La sécurité sociale de tous les travailleurs doit être défendue et de meilleures conditions de travail au sein du secteur professionnel doivent être revendiquées.

Le répondeur – Quand apparaît la question du statut d’artiste au sein du syndicat ?

AvS- Nous sommes en quelque sorte les héritiers du Syndicat des artistes musiciens de Bruxelles, fondé en 1893. Petit à petit, diverses branches se sont fusionnées (comédiens, musiciens, danseurs, artistes de variété) pour aboutir en 1945 à la Fédération belge du Spectacle qui, à son tour, dans les années 1970 s’est intégrée à la FGTB (section CGSP- culture), auquel sont affiliés la majorité des artistes du spectacle.

Le répondeur- Pouvez-vous nous rappeler quels ont été les principales luttes au sein de votre section ?

AvS- Les premières luttes auxquelles j’ai assisté dans les années 70, concernaient la revendication d’une convention collective « Théâtres » qui n’existe toujours pas. Elle n’a pas obtenu un accord suffisant en commission paritaire. Les seules conventions qui existent sont des conventions d’entreprise, qui ne s’imposent qu’aux théâtres qui les ont signées, mais qui sont devenues un point de référence.

Le répondeur- Pourquoi ?

AvS- À un certain moment, on s’est rendu compte que ça ne servait plus à rien de discuter en commission paritaire. En 1974,  nous avons donc décidé de faire signer, employeur par employeur, une convention d’entreprise avec notre syndicat. Nous avons commencé par les jeunes compagnies de l’époque et puis il y a eu le Rideau de Bruxelles, le Théâtre National, le Théâtre du Parc. Maintenant, il y en a une quinzaine.

Le répondeur- La convention d’entreprise, c’est une charte éthique ?

AvS- Pas du tout. C’est un document, un contrat entre ceux qui l’ont signé. Le directeur qui l’a signé est tenu de la respecter vis-à-vis de tous les travailleurs, pas seulement vis-à-vis des syndiqués.

Le répondeur- Et sinon ?

AvS- On peut aller devant le Tribunal du travail. Et quand nous l’avons fait, nous avons obtenu gain de cause.

Le répondeur- Notre discussion nous amène au cœur du problème. Est-ce que ces premiers combats syndicaux revendiquent déjà  un statut d’artiste ?

AvS- Nous n’avons jamais revendiqué « un statut d’artiste ». Au contraire, nous avons lutté contre toute tentative de « statutification » de l’artiste. Nous estimons qu’il ne doit pas y avoir de « statut d’artiste », au sens d’un système global et spécifique qui nous distinguerait des autres catégories sociales. D’abord parce qu’on ne sait pas ce que c’est qu’un artiste, c’est impossible à définir. Par contre, nous pensons que les artistes ont – et doivent avoir - un statut, indépendant ou salarié. Jusqu’en 2003, les comédiens, les chanteurs, les danseurs, les musiciens, les artistes de variétés étaient indubitablement des salariés. Cette « présomption irréfragable » (comme disent les juristes) était édictée par un article de l’Arrêté royal général sur la sécurité sociale (28 novembre 1969). Malheureusement la loi du 24 décembre 2002 remplace cette « présomption  irréfragable » par une « présomption simple » : tous les artistes sont présumés être des salariés, sauf preuve du contraire.

Le répondeur- Que reprochez-vous à cette loi?

AvS- Cette loi hypocrite introduit des modifications qui ont des répercussions sur la situation des artistes. Nous pouvons résumer cette loi en quatre points : 1. On étend le statut de salarié à tous les artistes même ceux qui étaient indépendants avant (la belle affaire !), mais on prive les artistes salariés du caractère « obligatoire » de ce statut ; 2. la centralisation des allocations familiales (c’est une bonne chose) ; 3. le pécule de vacances est payé par l’Office National des vacances des travailleurs salariés, le pécule n’étant plus « anticipé », cela entraîne un désavantage fiscal ; 3. l’instauration des Bureaux Sociaux pour Artistes (BSA).

Le répondeur- À qui profite cette loi, alors ?

AvS- Cette loi profite aux vedettes du show-business, qui échappent ainsi aux cotisations de salarié, trop onéreuses à leurs yeux : il est vrai qu’au-delà d’un certain seuil de revenus, les indépendants ne paient plus de cotisations sociales.
 
Le répondeur- Avant cette loi de 2002, il y avait eu de nombreux débats dans les années 90.
Quelles ont été les raisons qui ont poussé les élus à rejeter la proposition de loi de Busquin, Mayeur et Tomas (du 2 mars 1995 et redéposée le 29 septembre en cession extraordinaire de la chambre par Moriau et Toussaint à laquelle s'associe Detienne et Wauters le 18 janvier 1996), s'appuyant sur la table ronde menée par André Nayer et Suzanne Capiau?

AvS- C’est une vieille histoire. Ce projet de loi a été déposé à quatre reprises mais n’a jamais recueilli l’adhésion. Le projet Nayer-Capiau était fondé sur les deux principes suivants : 1. les employeurs d’artistes ne payaient plus les cotisations patronales. Elles étaient remplacées par une contribution des « utilisateurs de la culture », catégorie indéfinissable; 2. la loi devait s’appliquer à l’ensemble des artistes, autre catégorie indéfinissable. 

Le répondeur- Nous retombons ainsi dans les problèmes de définition ? Qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qu’un utilisateur de culture ? Pourquoi ne pas se baser sur des critères objectivables : le nombre de spectacles, de visiteurs, des heures de travail, … ?

AvS- Et bien, c’était le cas de l’Arrêté royal de 1969 qui rangeait indubitablement les artistes du spectacle dans la catégorie des salariés et c’est ça qu’on a démoli, en mettant tous les artistes dans le même sac. Une idée démagogico-romantique. On va soigner les artistes, considérés comme des êtres « à part ».


Le répondeur- Dans l'un de vos textes, "Pour améliorer le statut social du travail artistique"1 , vous déclarez "Les besoins culturels de la population sont en augmentation constante, c’est pourquoi les dépenses culturelles doivent augmenter à la même vitesse. Cela nécessite d’accroître les budgets culturels des Communautés proportionnellement au Produit Intérieur Brut".

AvS- Il s’agit d’une constatation d’un économiste qui s’appelle William Baumol2  et dont la conclusion  est que l’activité culturelle vivante est condamnée. C’est la « loi d’airain », la malédiction du spectacle vivant. Les gens qui travaillent dans la culture ont droit à des rémunérations au moins égales à celles acquises dans les autres secteurs d’activité, alors que dans le spectacle vivant, la rentabilité, comparativement, ne cesse de diminuer. Dans une usine, la rentabilité d’un homme augmente avec l’introduction des machines et des nouvelles technologies alors que la rentabilité d’un violoniste en chair et en os reste toujours la même.


Pour en savoir plus…

A. VON SIVERS, Guide juridique élémentaire du jeune comédien, Bruxelles, avril 1998.
A. VON SIVERS, Recueil législatif des artistes du spectacle, Bruxelles , juin 1986, mis à jour en juillet 1995.
A. VON SIVERS, Un statut pour l’artiste : enfin ou hélas ? (http://www.cgsp-culture.be/Textes_pdf/015.pdf)
A. NAYER, S. CAPIAU, Droit social et fiscal des artistes, Bruxelles, éd. P. Mardaga, 1987
A. NAYER, S. CAPIAU, Un statut pour les artistes, Bruxelles, éd. Communauté française de Belgique / CERP / ULB, 1989, 287 p.
A. NAYER, S. CAPIAU, Un statut pour les artistes : dossier documentaire et propositions , Bruxelles, éd. Communauté française de Belgique, 1991.
A. NAYER, S. CAPIAU, La condition de l'artiste, Genève, éd. Bureau International du Travail, 1991.
R. BOONE (e.a.), L'artiste au travail : état des lieux et prospectives, Bruxelles, éd. Bruylant / SMart, [s.d.].
Véronique LEMAIRE, La socialisation du comédien en communauté française de Belgique, Mémoire inédit, UCL : Centre d’Etudes Théâtrales, août 1998.
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