Edito

Publié le par lerepondeur


La nécessité de proposer un journal culturel gratuit me vient du besoin
de donner un sens à une culture de plus en plus déconnectée de la cité et de ce qui
a été sa fonction jusqu’à ce jour - éduquer la population, lui permettre de faire sien cet article :
« Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle
de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique
et aux bienfaits qui en résultent. »
L’art comme espace de collectivisation de la pensée, l’art qui éduque en offrant
« un point de vue », l’art qui transmet. Si les deux guerres mondiales ont fortement ébranlé cette croyance - en étant non seulement incapable, par son action, d’empêcher la barbarie mais devenant l’outil même de cette destruction (progrès étant, dans ce cas, opposé avec l’idée même de bienfait) -
je veux encore croire en ce projet de penser la cité ensemble, croire que le théâtre assure,
à sa manière, la circulation d’un savoir : le monde poussant l’auteur à écrire, le metteur en scène
se chargeant de transmettre aux comédiens ce que contient le texte afin qu’ils transmettent, à leur tour, aux spectateurs, ce savoir que les spectateurs se chargeront de réinjecter dans le monde.
Et « il n’y a plus qu’à marcher sur la circonférence
de ce cercle dont la vérité est le point qui se trouve au centre ».
Croire que le théâtre a un rôle actif à jouer dans notre société humaine.
Ce n’est malheureusement plus le cas, la création devenant, de plus en plus souvent,
un produit vite consommé, vite évacué. Et je ne pense pas seulement à « la culture télévisuelle »
ou marchande (derrière lesquelles nous autres, artistes, nous nous réfugions
pour nous garantir une pureté virginale) mais à l’art en général, et à toutes les structures
qui en assurent le bon fonctionnement.
Ainsi, formé comme comédien dans une grande école, j’y ai appris l’escrime, la diction,
la dramaturgie, à chanter, à danser, à rire ou à pleurer, à comprendre les textes que je joue,
sans que jamais ne soit soulevée la question de ma fonction dans la cité. Destiné à devenir
un acteur sans conscience, courtisan des directeurs de théâtre (devenus des rois)
et des metteurs en scènes (devenus des marquis).
Acteur-courtisan ayant perdu sa langue (c’est un comble !)
de peur de perdre l’emploi qu’il n’a pas encore.
Lors de la constitution de l’équipe de ce journal, voilà ce qu’un acteur m’a répondu
pour expliquer l’inutilité de proposer un journal culturel citoyen :
« Personnellement je suis incompétent pour juger objectivement le milieu
du spectacle. Acteur, je ne suis pas neutre. On ne peut être à la fois juge et partie.
Pour moi la configuration de notre groupe n’a donc pas de crédibilité.
À moins qu’on renonce à nos métiers et à nos responsabilités…»
Faire, avec d’autres, un journal culturel citoyen, c’est, non pas juger, mais chercher
à faire évoluer le théâtre, en le questionnant, en l’interpellant par des enquêtes,
des réflexions poussées : un théâtre qui me semble être, justement,
dans son essence même, une tentative de vivre la collectivité, de s’adresser à elle.
Critiquer pour faire évoluer, pour réinventer une culture, non plus concurrentielle, mais coopérante.
Le journal ne cherchant pas à dénoncer mais à être,
comme le Canard Enchaîné en politique, le contre-pouvoir nécessaire
d’un mode de fonctionnement de plus en plus lié à la carrière individuelle.
Et s’il est vrai, comme le remarque Heiner Muller, que nous avons peur, dans le théâtre occidental, des expériences collectives, pensant tout en termes d’individualités, la Belgique, riche de ces ressources
(humaines comme artistiques), forte de son organisation sociale,
semble propice à toutes les espérances.


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