La loi de l’évolution de l’acteur ou comment l’acteur survit dans nos sociétés consensuelles

Publié le par lerepondeur



L’acteur est un zèbre. Ses rayures sont du plus bel effet dans nos savanes modernes. Certes, il est plus court sur pattes que son cousin le cheval mais en troupeau, il se sent beau et fort. Et il a raison. Il est protégé lors de l’attaque des grands fauves par l’effet stroboscopique de la fuite. Oui, stroboscopique.
Le cheval, lui, ne saurait créer cette sensation de flou dans le regard des grands fauves et ne pourrait survivre dans nos savanes. Pas d’effet stroboscopique chez le cheval. Le cheval a d’ailleurs disparu des savanes.
L’accentuation des rayures du zèbre est corrélative au degré d’ouverture de nos sociétés à l’expression artistique officielle. Sans rayures, l’acteur est seul, condamné à mourir, ignoré par le troupeau, et finalement dévoré par les grands fauves dans l’indifférence la plus totale. Plus il y a de rayures, plus il est accepté par ses congénères et plus il bénéficie de cette bienveillance des grands fauves. Tant qu’il peut bien sûr, galoper avec les autres et assurer dans le regard des fauves cet effet visuel. Ce flou dans leurs yeux, ce beau flou artistique qui sans être différent n’est jamais tout à fait le même.
Alors tout est pour le mieux. Nos jungles urbaines, devenues des savanes, tellement transparentes, ont rendu l’art de s’exprimer celui de se camoufler, de se camoufler de façon grégaire. En effet, seul le camouflage de façon grégaire permet aux zèbres de créer ce flou, cet effet stroboscopique. Les acteurs-zèbres y excellent à la différence de nous, des autres, des gnous. Pas d’effet stroboscopique chez les gnous. Pas plus de volonté d’ailleurs de s’exprimer différemment.
Pourtant les zèbres pourraient être moins courts sur pattes, exprimer leur nature de cheval, galoper seuls, à grande vitesse et imposer aux grands fauves, une diversité, une nouveauté, sans pour autant tous se faire bouffer. Alors évidemment un peu de sciences économiques nous rappellera à l’instar d’Olson (1) que toute action collective a un coût pour l’individu (engagement, prise de risque, perte de temps, argent investi…) et des bénéfices ou avantages obtenus par l’action collective (protection sociale, augmentation de salaire, emploi…notoriété) et qu’il existe une tendance pour les membres d’un groupe à profiter du bénéfice d’une action collective en cherchant à payer le coût minimum, voire à échapper au coût de cette action. « Les grands groupes peuvent rester inorganisés et ne jamais passer à l’action même si un consensus sur les objectifs et les moyens existe. » (2). Dans un train, la fenêtre ouvre, tous ont intérêt à la fermer, mais aucun n’a intérêt à se lever pour la fermer car la probabilité de se faire prendre sa place est proportionnelle au nombre de personnes présentes dans le wagon.
Le seul moyen étant de trouver un mécène afin de porter l’action collective à son terme (à la différence des autres groupes où l’exécution de l’action n’est pas certaine). Ainsi, dans sa logique, seul le mécène paiera et tous les autres membres seront passagers clandestins (free rider). Qui va donc laisser sa place ?
Les zèbres sont-ils pour autant trop nombreux ? Leurs rayures finalement pas si moches ? Y-aura-t-il un zèbre capable de hennir et proposer des petits pois, du rose ou de l’écaille ? Que faire enfin si le mécène est un grand fauve ?
Dans cette loi de l’évolution de l’acteur-zèbre, l’effet stroboscopique a atteint ses limites. Il est temps de hennir et de démentir la loi de l’évolution de l’acteur dans nos sociétés consensuelles !

Eric Hertzler

[1] Olson Mansur, Logic of Collective Action, Harvard University Press, 1971. Traduction française : Logique de l’action collective, préface de Raymond Boudon, PU F, 1978 (2e éd. 1987)
[2] Olson M., op.citée. Plus précisément, plus un groupe est nombreux, plus la probabilité qu’il passe à l’acte est faible car la contribution marginale d’un membre à la réussite du groupe est décroissante.

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