Théâtre National Wallonnie – Bruxelles : Terre d’accueil ?

Publié le par lerepondeur

Dans la ville de Bruxelles se dresse un grand voile blanchâtre. Tantôt irisé des rayons du soleil, tantôt arrosé d’éclairages colorés, ce rideau sur le monde se voulait être la métaphore d’un rapport éternel entre le théâtre et son public, le théâtre et la ville, le théâtre et le monde.
Large ambition imposée par les architectes aux utilisateurs, elle ne sera pas la seule. Le foyer affirmant sa blancheur quasi diaphane dans un espace dilaté au maximum des interstices que laissaient les salles compactées sur un terrain pourtant trop étroit, apparaît par moment plus comme un non lieu, tel ces espaces d’aéroports, ou de gares, ou de hall d’hôpital, que ces habituels lieux d’accueils scénographiés à force de pendrillons et autres breloques chargées de véhiculer le mythe du théâtre, fait de trois bouts de ficelles et de brols assemblés de façon plus ou moins joliette.
De façon quasi totalitaire, les architectes profitèrent donc d’un quasi abandon de responsabilité de la part de leurs interlocuteurs culturels et politiques, pour glisser sournoisement leurs convictions profondes, leurs attachements viscéraux à ce qu’en toute honnêteté ils continuent à prendre pour vrai : le théâtre est une pratique vivante, faite de rencontres, de bousculades, de collisions, d’empoignades, de violences et de douceurs à la fois.
Signe de cette foi profonde dans l’urgente nécessité que le moindre des acteurs participant à la construction du spectacle soit en empathie avec la rudesse du métier des créateurs, les architectes eurent même l’audace de soumettre au regard du passant, les scènes de répétitions dans cette salle qui devrait être le cœur du bâtiment, le pouls de cet être vivant, l’âme de cette institution. Sacrilège des sacrilèges, ils ouvrirent même aux rayons du soleil cet espace qui pour certains professionnels du spectacle n’avait pour seule mission que d’être l’outil de leurs phantasmes et le réceptacle de leurs asservissements.
On l’aura compris, la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Cela est d’autant plus vrai dans le monde du théâtre, qu’il n’est jamais que la mise en exergue des comportements les plus vils ou les plus heureux de l’être humain dans la société qui le crée et qu’il tente de nourrir.
Mais de quelle nourriture à la fin, l’être humain est-il capable ? Quelle est la dimension de son don ? Quelle est la générosité envers lui-même et les autres qui devrait l’animer ?
Les architectes du Théâtre National ont-ils fait preuve d’égoïsme en s’appropriant les supports du vécu d’autres plus artistes, plus spécialistes, plus informés du débat actuel sur le théâtre qu’eux ? Ou bien, par leurs provocations, ont-ils cherché à susciter une dimension autre de la part de ceux dont ils n’espèrent qu’admirer le moindre geste, le moindre souffle, le temps suspendu d’une parole chuchotée sur le nez du plateau ?
Le foyer du Théâtre National se voulait comme une page blanche. Une lettre ouverte à tous ceux qui, fédérés un soir de janvier 2002 se sont insurgés contre l’éclatement programmé par le ministre de l’époque, visant à déporter dans sa ville natale la manne financière que représentait cette première scène communautaire. De tout cœur ils proclamèrent leur attente pour une scène à dimension internationale.
Si le maintien d’une telle scène à Bruxelles fut donc une victoire contre l’absurde, où est la contrepartie à cette âme qui fit battre les créateurs du monde du théâtre, du cinéma, de la danse en Communauté Française ?
Anciennement isolé dans sa tour de verre et de béton (l’ex « Tour Rogier » remplacée aujourd’hui par la « Tour Dexia »), le Théâtre National souffrait d’isolement et d’opacité.
La rage communicatrice des architectes a transformé dans une translucidité suggestive, les moindres faits et gestes pratiqués par chacun des membres du personnel. Est-ce pour autant qu’un sentiment d’ouverture et de communication se propage dans la ville et dans le monde du théâtre ? Les jeunes compagnies ont-elles pris sur elles de s’approprier les espaces disponibles ? Le public se sent-il accueilli lorsqu’il vient en dehors des heures de consommation ? Est-il question de générosité ? D’engagement vers l’autre ? De curiosité à découvrir ?
Ou bien le Théâtre National n’est-il resté que cette machine à diffuser un produit de consommation, dont la qualité est évaluée à la jauge qu’il remplit ? Quels sont les critères d’appréciation ? Qui se charge de dire si le Théâtre National va bien ou va mal ?
Beaucoup de questions restent ouvertes, mais il est aisé de comprendre que si l’actuelle direction a demandé à l’un des architectes de prolonger sa mission et d’intervenir à nouveau dans le foyer pour réparer ce que le programme lui avait imposé quelques années plus tôt, c’est que rien n’est irréparable et que l’espoir d’un outil ouvert, généreux, communicatif, enjoué, accueillant, est toujours permis.

Olivier Bastin, Architecte
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